Les modèles de la personnalité pour éclairer l'authenticité

Pour mieux comprendre ce qui se joue dans cette quête de l’authenticité identitaire, nous allons, dans cette partie, profiter de l’éclairage que peuvent apporter quelques modèles de la personnalité.

Les états du moi

Berne a défini trois états du moi, Parent, Adulte et Enfant, qui concernent à la fois les dimensions cognitive[1] (connaissances, croyances, idées ou pensées), affective (attachements, ressentis, émotions, sentiments) et comportementale. Ce sont des états que l’on prend à un moment donné, caractérisant notre état intérieur et nos comportements extérieurs.


Les états du moi Enfant et Parent prennent leur origine dans des conditionnements de notre passé, réminiscences des événements qui nous ont marqué et des personnes qui nous ont influencées (notamment des injonctions).


L’état du moi Adulte est basé sur le présent et en pleine capacité de ressentir l’ici et maintenant et de raisonner de manière libre. Le schéma suivant représente la structure de la personnalité selon l’Analyse Transactionnelle[2], avec un Parent qui peut être contrôlant ou nourricier et un Enfant qui peut être naturel, rebelle ou adapté.


[1] Hawkes & Brécard (2015), p.49. [2] Berne (1972), p.31, figure 1C.

Comprendre les moments où nous activons tel ou tel état du moi nous aide à comprendre selon quelle structure nous ressentons et réagissons.

« On y retrouve la plupart des autres concepts de l’analyse transactionnelle : la position de vie, qui s’enracine dans les expériences de l’enfance et marque notre Enfant ; les émotions, celles qui sont permises et encouragées étant imprimées dans notre Enfant ; les schémas habituels d’échanges de signes de reconnaissance, qui donnent forme à nos états du moi et qu’il nous est plus ou moins facile de nous procurer ensuite ; la symbiose, qui risque de rester présente si nous n’avons pas pu développer tous nos états du moi, ce qui entraîne de la méconnaissance ; et, surtout, le scénario de vie.[1] »

On voit le lien entre ces états du moi et les notions d’injonction, de jeux, de rôles et de scénarios que nous avons abordées.

Alors qu’est-ce qu’être davantage authentique à la lumière de cela ? C’est certainement garder accès à la lucidité rationnelle de son état adulte très régulièrement, mais aussi avoir accès, quand c’est utile, aux différents aspects de l’enfant, l’enfant libre, qui réveille une spontanéité en nous et aussi parfois au parent qui nous renvoie à des repères pouvant être précieux pour notre sécurité oncologique. Et n’est-ce pas, surtout, être de moins en moins dupes des jeux qui se jouent, ou peuvent se jouer, à notre insu, par une prise de conscience de ce qui se répète et nous enferme ? En sécurisant un sain accès à un réel accepté comme tel, dans des événements dont on en accepte la nouveauté plutôt qu’une projection de nos préjugés, dans des autres dont on accueille l’altérité radicale plutôt que des personnages que nous projetons.

Nous aurons l’occasion de nous interroger plus loin sur les manières que pourra s’autoriser l’Adulte, dans sa quête d’authenticité, d’écouter consciemment et librement la voix de l’enfant naturel, qui, dans sa spontanéité, peut l’aider dans une ouverture au réel et à autrui.

Le schéma d’identité de Carlo Moiso

Carlo Moiso[2], psychiatre et Analyste Transactionnel, parle d’identité négative quand les pensées, les émotions et les comportements, dans lesquels nous nous reconnaissons, nous portent à conclure que nous ne sommes pas « OK » ou que les autres ne le sont pas. Pour sortir de l’angoisse qui en résulte et pour entrer en relation sociale malgré cela, nous nous forgeons une identité sociale se voulant positive, que Moiso appelle le masque. Ce « pseudo », qui n’a de valeur que tant que soi-même et les autres y croient, aura été choisi dans un « catalogue » de comportements socialement proposés comme gratifiants.

Bien sûr, ce soi préfabriqué peut provoquer des dissonances puisque c’est un « faux soi ». Mais il a l’avantage de nous protéger du soi souffrant qu’est une identité intérieurement perçue comme trop négative, que Moiso appelle le crapaud et de nous permettre d’obtenir des signes de reconnaissance dans notre environnement social. Au fur et à mesure de notre évolution et de celle de notre environnement, ce masque s’adaptera dans sa forme, mais sa nature restera inchangée.

Moiso voit dans l’ensemble masque et crapaud le personnage de scénario dont parle Berne, comme un T-shirt avec le masque gravé sur le devant et le crapaud à l’arrière. Mais il notre par ailleurs que l’Enfant qui est en nous dispose aussi d’un autre processus, plus créatif, qui consiste à se forger un héros, un soi idéal. Celui-ci peut être au service :

  • De l’Enfant naturel pour être le modèle de développement de son Adulte autonome,

  • De l’Enfant adapté ou rebelle pour gérer comme il le peut sa souffrance,

  • Du crapaud, pour essayer de sortir du drame,

  • Du masque, comme un soi social extérieur idéalisé.

Ce héros est donc ambivalent, c’est l’idéalisation d’aspects de soi, soit positifs, soit négatifs. Mais on peut trouver en lui un précieux réservoir d’énergie pour motiver l’Enfant naturel dans un chemin vers un Adulte autonome et authentique.


[1] Hawkes & Brécard (2015), p.361. [2] Moiso (2009), pp. 25 à 31.

On peut représenter les différents niveaux identitaires décrits sur le schéma ci-contre [1] .

Le chemin de gauche est le chemin vers l’authenticité identitaire. Renonçant aux tentatives vaines et illusoires de régler ses comptes avec ses vielles blessures,

« l’être humain accompli a mis son crapaud en cage. Il entend son coassement, mais cela ne l’empêche plus de dormir. Il sait mettre son masque lorsque c’est nécessaire, mais sait aussi l’ôter. Libéré des automatismes de la branche de droite, il adopte des attitudes autonomes qui permettent à son Prince de réaliser ce qu’il a envie de réaliser et d’être qui il est en tenant compte du monde environnant. Bien inséré dans la réalité, il choisit entre les multiples options que lui propose la vie. Parfois même, il rencontre un concours de circonstances qui lui permet de déployer le meilleur de lui-même, son génie. [2] »

On voit ici un chemin vers l’authenticité identitaire, à partir de l’Enfant naturel, vers un Adulte autonome et phase avec le réel et avec lui-même. Et quel est le rôle du coach, dans tout cela ?

« Coacher un client – ce serait une belle définition – c’est lui permettre de retrouver son Prince de maintenant et sa dimension positive de héros. Grâce au coach, le client trouve en lui-même les ressources nécessaires à son succès. Le coach l’aide à en élaborer une représentation (définition de l’objectif), puis vérifie avec lui comment réussir et comment la réussite peut raisonnablement se déployer dans le système complexe de son entreprise.[3] »


[1] Inspiré de Délivré (2014 [2012]), e. 3183. [2] Délivré (2014 [2012]), e. 3245. [3] Ibid., e. 3263.

Les ennéagrammes

La logique sous-jacente à ce schéma d’identité se retrouve dans les ennéagrammes. C’est une modélisation des personnalités en neuf types[1], chacun étant formé à partir d’un évitement, comme l’enfant blessé de Moiso, qui se constitue son T-shirt avec le masque devant et le crapaud derrière, pour éviter sa souffrance. L’origine de l’évitement est, en effet, à rechercher dans la petite enfance, quand ont été vécues certaines situations douloureuses et des peurs, qu’on s’est promis d’éviter dans le futur. Ont alors été installées des croyances et des comportements types ayant pour but d’éviter de revivre ces moments qui ont été difficiles voire traumatisants. Et cet évitement s’ancre dans la personnalité pour devenir une compulsion, une habitude si forte qu’elle devient un conditionnement, comme une seconde nature.

« La compulsion, nous dit le dictionnaire, c’est une contrainte interne, impérieuse, qui pousse un sujet à certains comportements sous peine de sombrer dans l’angoisse. L’Ennéagramme nous dit que chacun des neuf types s’est constitué autour d’un évitement compulsif qui lui est propre et qui, de ce fait, est fondateur du type. Il y a donc un évitement compulsif par type. Par conséquent, c’est d’abord et avant tout cet évitement compulsif qui permet d’identifier son type de base et pas seulement les comportements.[2] »

On voit ainsi comment de telles compulsions viennent entraver la liberté de la personne, l’éloignent du réel et des autres à force de prétendre l’en protéger, la poussant en permanence dans des jeux et scénarios stéréotypés.


Voici les différentes caractéristiques de chacun de ces types, qui en découlent[3].

Ennéatype. Compulsion d’évitement. Comportement. Image de soi (je suis fier(e) de moi parce que…)


1. J’évite la colère. Je cherche la perfection. Je suis honnête et rigoureux.

2. J’évite de prendre en compte mes besoins. Je satisfais les besoins et désirs des autres. Je suis le serviteur aimant.

3. J’évite l’échec. Je recherche le succès. Je suis un gagnant efficace.

4. J’évite la banalité. Je marque ma différence. Je suis unique.

5. J’évite le vide intérieur. Je recherche la connaissance. Je suis l’observateur qui sait et qui comprend.

6. J’évite la transgression. Je recherche la sécurité dans l’obéissance. Je suis loyal et fidèle.

7. J’évite la souffrance. Je recherche le plaisir. Je suis optimiste.

8. J’évite la faiblesse. Je recherche le pouvoir et je garde le contrôle. Je suis fort et je fais respecter la justice.

9. J’évite le conflit. Je recherche la paix. Je suis le médiateur facile à vivre.

On retrouve également dans ces compulsions et comportements les injonctions évoquées plus haut, notamment les drivers.

Alors, ces types nous enferment-ils dans la fatalité de scénarios préétablis, des scripts de vie, comme ceux qu’évoquait Berne ? Non, car il existe, selon l’approche des ennéagrammes, des chemins pour en sortir, tout comme pour Carlo Moiso.

Ici, cela s’appelle le chemin d’intégration, qui consiste notamment à s’inspirer des atouts d’autres types, notamment celui d’où vient la flèche dans le cercle des types, appelé le type d’intégration du type.

« Ces situations d’intégration correspondent à des moments où la personne est en confiance, bien dans sa peau, en sécurité et donne le meilleur d’elle-même. Dans ces situations d’intégration, elle va adopter naturellement les points forts du type situé au bout de sa contreflèche.[4] »

Il y ainsi, pour chaque type, des voies pour se libérer peu à peu des conditionnements, des compulsions et trouver davantage d’authenticité identitaire. A la fin de son roman sur les ennéagrammes, Laurent Gounelle met en scène le dialogue suivant, entre un accompagnateur et sa cliente :

« … en portant votre regard sur le but, sur la version aboutie de vous-même, ce à quoi vous ressemblerez quand vous serez libre, c’est comme si cela vous aspirait vers cet état ; cela accélère et facilite votre évolution. — Je comprends. — Tant mieux. — Et c’est vrai pour toutes les personnalités ou juste pour la 1 ? — Pour toutes. Le chemin, c’est : comprendre son illusion, son angoisse, puis la clé de son évolution, et enfin mettre son attention sur la vision aboutie de soi-même.[5] »

On trouve ainsi, dans le modèle des ennéagrammes, une approche dynamique pour la compréhension de la non-authenticité et la direction d’un chemin vers l’authenticité, tout en accueillant une certaine continuité identitaire puisqu’on reste dans son type, qui n’est pas sensé changer.


[1] Ugeux & Bradel (2011), p.52. [2] Ibid., p.26. [3] Idid., p.38. [4] Ibid., p.29. [5] Gounelle (2018), p.310.

Le coping

Le concept de coping[1], élaboré par les spécialistes du stress Lazarus et Launier, définit l’ensemble des efforts cognitifs, émotionnels, physiologiques produits par une personne pour « maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes et externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu[2] ». Les injonctions, traumatismes et blessures décrites précédemment sont des stress chroniques, des exigences par rapport auxquels la personne fait effort pour faire avec et pour se protéger.

Or parmi les efforts réalisés, si certains sont actifs et positifs pour agir sur ces menaces en affirmant un soi authentique, d’autres[3] s’avérèrent être de vraies aliénations de soi, qui produisent des éléments d’inauthenticité :

  • Prises de distance, minimisation des menaces, déni : « je fais comme si rien ne se passe, mes sens me trompent, ce que je crois percevoir est faux, tout va bien »,

  • Fuite, évitement : « j’essaie de me sentir mieux en mangeant, buvant, en prenant des médicaments, en me réfugiant dans des addictions »,

  • Auto-accusation : « c’est moi le problème, il faut que je me conforme mieux aux autres »,

  • Neutralisation de la confiance en soi : « je ne suis pas ma première intuition… ni les suivantes, mes aspirations ne sont pas légitimes ».


Ainsi Rogers décrit-il le cas d’une jeune femme qui s’est ainsi laissée aliéner par son coping face aux injonctions de ses proches, jusqu’à se renier elle-même dans son corps par ces efforts : « Aussi lui faut-il non seulement nier l’amour de celui qu’elle aime, mais affamer son corps, le plier à la forme qui sied aux autres même si elle est aux antipodes de son instinct. Son expérience intime, totalement discréditée, ne peux plus fonder sa propre vie.[4] »

Mais ce mécanisme tragique peut être retourné avec un accompagnement bienveillant et confiant grâce auquel elle « se serait avisée qu’elle n’avait pas à combattre sa propre nature et ses sentiments mais au contraire, qu’une ouverture à la totalité de son expérience intime comme de son expérience des exigences et des attitudes des autres jetait pour elle les fondations d’une véritable vie. »

C’est là le versant positif du coping[5], qui est précieux à développer car il mène vers une plus grande authenticité :

  • Attention vigilante aux perceptions en vue de résoudre les problèmes : « je m’écoute (sentiments et besoins), je prends en compte les faits et le réel, j’élabore des stratégies et actions concrètes visant à satisfaire mes besoins »,

  • Combattivité et acceptation de la confrontation : « j’ai suffisamment confiance en moi, en ma légitimité, pour affronter autrui »,

  • Recherche de soutien : « je discute avec quelqu’un pour m’aider à y voir plus clair en moi et sur le réel »,

  • Réévaluation positive : « j’ai confiance en la vie pour que soit tiré de cette épreuve du positif ».

Le processus d’individuation

C’est Carl G. Jung qui a décrit ce processus, que Christophe Fauré utilise pour décoder ce qui se passe lors des transitions de milieu de vie : « L’essence de ce processus est une dynamique intérieure qui nous pousse à nous réaligner avec l’authenticité de notre être.[6] »

Le processus comprend cinq phases[7], et recoupe la logique du schéma d’identité de Carlo Moiso, la construction de la personnalité des ennéagrammes, et la construction de la mémoire psychique, abordés précédemment.

La phase d’accommodation est celle où nous apprenons, enfants, à régler nos comportements en fonction de ce qu’on attend de nous, puis, jeunes adultes, nous nous adaptons pour « devenir ce que nous croyons devoir être pour exister aux yeux d’autrui[8] ». Dans cette étape, se construit la Persona, masque social (similaire au masque de Moiso), interface entre notre moi profond et la société, et on s’identifie parfois totalement à elle, inconscients de ce qu’il ne s’agit que d’une construction. On passe ainsi souvent la moitié de sa vie à sacrifier des parties essentielles de soi, croyant que c’est la seule manière d’exister, en contradiction avec ce que l’on sent être intérieurement quand on s’écoute. La partie refoulée de nous-mêmes, l’Ombre, comprend à la fois des aspects négatifs (pulsions d’envies et de violence, pensées et sentiments négatifs comme pour le crapaud de Moiso), mais aussi un potentiel de spontanéité, de créativité, nos rêves d’Enfant naturel.

La phase de prise de conscience est le début de la mise en question de la Persona, ressentie comme entravante : on la voit trop étroite, elle ne satisfait plus autant qu’avant, on s’interroge sur qui on est vraiment par rapport à ce qu’on veut monter.

La phase de face-à-face avec la réalité se caractérise par une insécurité ressentie, et un deuil qui commence, celui de la personne qu’on a été. C’est aussi une zone de turbulence, avec un danger car l’Ombre peut se manifester sous ses aspects autant négatifs que positifs.

La phase de début de l’intégration est celle où on commence à mettre en place un « je suis », plus aligné avec moi-même : on se promet d’être fidèle à soi, plus libre de l’approbation des autres, on envisage de nouvelles possibilités pour sa vie.

La phase de l’individuation, enfin, est l’accomplissement de l’intégration et de l’alignement de toutes les facettes de soi. Dans l’idéal, par une conscience pleine de soi en ses multiples facettes, la personne accueille le positif et le négatif, le choisi et le non-choisi de sa personnalité et de son existence.

La quête d’authenticité peut ainsi se comprendre comme une démarche essentielle à entreprendre volontairement et consciemment : « nous sommes, chacun et chacune, responsables de notre propre processus. L’intégration des cinq étapes ne dépend que de nous : la liberté de façonner notre propre existence est entre nos mains.[9] »

La tendance actualisante

Carl Rogers s’intéresse davantage aux forces de vie qui peuvent amener au soi authentique qu’aux modes de formations des conditionnements et autres entraves qui en écartent. Il a élaboré le concept de « tendance actualisante » comme le fondement théorique de son Approche Centrée sur la Personne :

« La notion de tendance actualisante est le postulat fondamental de notre théorie et cette tendance se manifeste par l’organisme dans sa totalité et uniquement dans sa totalité.[10] »

Rogers fait ainsi l’hypothèse[11] d’une force vitale naturelle, d’une énergie de vie qui est en nous pour favoriser notre épanouissement. Cette énergie stimule la croissance de tout notre être, disponible tout au long de la vie. Elle n’est certes pas visible directement et n’est observable que par ses effets, comme l’air qui fait frémir la peau quand il circule. La tendance actualisante est ressentie en soi profondément, charnellement, intuitivement, c’est une ressource précieuse qui est là pour permettre l’épanouissement de la personne dans son ensemble, physique et psychique, les deux étant en relation ; elle a un rôle déterminant pour Rogers :

« Le flux de la vie prend des formes sans cesse plus diverses, corrigeant ses erreurs et progressant vers son propre épanouissement. [12] »

C’est cette tendance actualisante, ce moteur de vie, intégrant les particularités physiques et psychologiques, différentes pour chacun, qui fait l’unicité de la personne. Rogers place une grande confiance dans cette énergie vitale, aussi fonde-t-il sur elle toute son approche, visant à aider les personnes à y accéder pleinement. Elle peut être empêchée par diverses entraves : des pressions externes ou internes, des blessures voire des traumatismes physiques ou psychiques. Or, elle ne fonctionne que si elle retrouve sa capacité de circuler librement. Il s’agit donc de chercher des conditions favorables pour que rien ne la bloque ni ne détourne cette énergie de son action. C’est pourquoi il invite à suivre avec attention les fluctuations de tout ce qui se joue en la personne : une succession de désirs, de sentiments, en lien avec son corps et son environnement. Il s’agit de renouer le contact avec son soi vrai en se distanciant du soi façade, replongeant au niveau le plus fondamental, archaïque, de son être, pour retrouver son unité d’origine.

« [La tendance actualisante] permet alors la réorganisation permanente du concept du Soi, c’est-à-dire qu’elle favorise l’épanouissement de la personne, sa connaissance d’elle-même et son adaptation au monde qui l’entoure.[13] »

Rogers fait une telle confiance dans cette force vitale, faisant pour lui partie des mystères de la nature, qu’il accepte ses manifestations les plus étranges, les mouvements des événements inattendus qu’elle suscite, les itinéraires les plus déroutants, si c’est le moyen pour la personne de retrouver son épanouissement, sa vie authentique, son vrai soi.

« C’est bien l’organisme [corps et esprit] dans sa totalité qui guide le processus d’évolution, d’où l’inutilité de vouloir l’influencer de l’extérieur sur un mode principalement mental. […] Cette particularité de ne pas pouvoir intervenir sur l’orientation du processus de la personne valide le choix de non-directivité, spécifique à l’Approche Centrée sur la Personne. L’acceptation de l’inefficacité d’un contrôle externe prend ici toute sa pertinence.[14] »

Se différentiant d’un Freud mais aussi d’un Berne et de tous les théoriciens des dysfonctionnements de l’individu, sans nier les mécanismes qu’ils décrivent, Rogers ose exprimer sa foi dans l’essence positive de la nature humaine, dans une unité corps-esprit, capable de susciter des élans de vie libérateurs pour se trouver profondément soi-même dans son unicité authentique et épanouissante. Dans cette invitation à l’inattendu authentique, les coachs peuvent trouver une inspiration pour un style d’accompagnement qui accueille avant toute chose le mystère de l’énergie vitale présente en chaque personne, quelles que soient ses attitudes.

Nous pouvons alors compléter le schéma d’identité de Carlo Moiso en y introduisant cette tendance actualisante de Carl Rogers, agissant au cours du processus d’individuation de Carl Jung, pour représenter le chemin par lequel se déconstruit l’inauthentique pour atteindre l’authentique.


[1] Paulhan (1992), pp. 545 et suivantes. [2] Lazarus et Folkman (1984), cité par Paulhan (1992) p.545. [3] D’après Lazarus et Folkman (1984), The Ways of Coping Check-List, composée de 67 items répartis en 8 sous-échelles, cité par Paulhan (1992) p.553. [4] Rogers (2013 [1989]) p.193. [5] D’après Lazarus et Folkman (1984), The Ways of Coping Check-List cité par Paulhan (1992) p.553. [6] Fauré (2020[2011]), p.34. [7] Idid., pp. 35 à 66. [8] Ibid., p.37 [9] Ibid., p.35. [10] Rogers (1962), cité par Odier p.42. [11] Odier (2012) p.42 et suivantes. [12] Rogers (1962), cité par Odier (2012) p.44. [13] Odier (2012) p.44. [14] Ibid.