Permissions, protections et puissance pour l'authenticité

Parmi les approches inspirées par l’Analyse Transactionnelle, celle des 3P, Permissions, Protections, Puissance, a fait ses preuves pour orienter l’accompagnement des personnes vers une libération sécurisante qui débouche sur la confiance et l’action positive.


Nous empruntons donc ici ce chemin pour y puiser des perspectives qui seront utiles pour le coach, au profit de son client en quête d’authenticité identitaire.


Nous verrons qu’il s’agira essentiellement des permissions de se connecter en profondeur avec soi et des protections contre les influences illégitimes, en vue de la puissance de déployer des éléments de vie authentique.


Nous pouvons représenter cela sur le schéma suivant, qui montre le cheminement de la quête qui avance sur l’axe puissance en gagnant sur les axes permissions et protections.

Des permissions pour l’authentique

Au cours d’une séance de coaching, un père de famille me confiait qu’il se sentait fortement marqué par l’injonction du driver « fais des efforts », injonction qu’il voyait comme lui ayant été « inculquée » par son père : il regrettait de ne pas s’autoriser de répit, ni à lui ni à ses enfants qu’il faisait travailler, pendant presque tout son temps avec eux, pour rattraper un niveau scolaire qu’il considérait comme insuffisant. Comme il sentait en cela un excès, je lui ai demandé si, pour le prochain week-end avec ses enfants, il souhaitait s’autoriser quelque chose de concret pour avancer et matérialiser sa volonté de changement. Après un instant, il me dit que oui : il décida de se donner un temps, gratuit, avec eux, juste de plaisir, sans objectif scolaire.

Voyons comment s’offrir des permissions nouvelles ouvre de nouveaux chemins pour la personne en quête d’authenticité identitaire.

Permission de prendre soin de soi

En sollicitant un accompagnement, une personne décide déjà de prendre du recul par rapport à ses fonctionnements quotidiens et de prendre soin, un minimum, d’elle-même. La coach psychanalyste Sophie Peters remarque à quel point l’expression « prendre soin de soi » est à la mode, mais propose d’en déjouer quelques pièges :

« Prendre soin de soi ne veut pas dire que l’on s’intéresse exclusivement à soi-même, ni que l’on se mette à la recherche d’un vrai soi à trouver ou retrouver sous les décombres des apparences. C’est d’abord ne pas baisser la garde sur l’estime de soi. L’estime de soi, ce n’est pas tenter de se persuader qu’on est quelqu’un de bien. C’est agir en se protégeant et en assurant la constance dans l’application de ses valeurs et de ses principes.[2] »


Ainsi, prendre soin de soi, c’est d’abord croire en soi, prendre au sérieux ses propres aspirations, ses propres réflexions, son cheminement, ses propres valeurs, ses propres besoins… C’est se faire confiance pour travailler sur soi-même et se rendre digne de cette confiance par la cohérence de sa réflexion, de son questionnement, de son ouverture, de sa mise en question : comment je discerne, je contrôle, je sélectionne mes propres représentations du monde, de moi, des autres ? Sophie Peters cite le philosophe Michel Foucault, pour qui le soin pris de soi est une véritable sagesse, un art à cultiver, et parle ainsi des « arts de soi-même », de la « pratique de soi », des « techniques de soi », parmi lesquels « l’écriture de soi ». On voit alors que ce soin est une véritable pratique, un exercice continuel. Concrètement, si je pose une action en pleine conscience que c’est pour prendre soin de moi, par exemple si je décide de dire non quand je pense que c’est non, je prends un chemin qui alimentera le respect que je me porte. Si au contraire je n’ai pas cette cohérence et cette fidélité à moi-même et que je dis oui si je crois le contraire, je m’envoie un message à moi-même, qui est un message de défiance, donc je nourris en moi la croyance que je ne suis pas capable d’assumer mes opinions et j’alimente la culpabilité qui en résulte.


« Apprendre à s’accepter tels que nous sommes, voilà la meilleure façon de prendre soin de nous. Et si l’on arrive à s’accepter soi, on apprend à accepter les autres tels qu’ils sont. S’aimer, c’est nourrir notre âme de ce qu’il y a de plus vrai. Plus on est tolérant face à soi-même, moins on porte de jugements, et plus on aime tout simplement dans le sens le plus pur qui soit. C’est le regard porté sur nous-mêmes qui va déteindre sur les autres et non le regard des autres qui déteindra sur nous.[3] »

En coaching, cette perspective donnera tout leur sens à des renforcements visant à promouvoir cette estime de soi, pour la personne en quête d’authenticité.

Permission d’accueillir son enfant intérieur

Lors d’un coaching, j’expliquais les trois états du moi à une personne pour l’aider à interroger le type de transaction qu’elle mettait en place avec d’autres. Elle remarqua l’importance de l’Enfant pour elle et dit qu’elle voulait le laisser s’exprimer davantage, surtout l’Enfant naturel, plus libre que l’Enfant adapté ou le rebelle.

Sophie Peters note que cet « enfant intérieur » est bien celui qui pourrait le mieux « ré-enchanter notre monde ». C’est lui qui, jadis, a reçu les injonctions, c’est lui qui a souffert du manque d’attention des adultes quand il en avait besoin. Aujourd’hui, plutôt que de s’efforcer de l’ignorer et de le faire taire, en le faisant souffrir comme les adultes de jadis, si on l’écoutait, si on lui donnait sa place, si on lui donnait les permissions et les protections qui lui ont manqué ? Ne serait-ce pas une voie vers davantage d’authenticité, pour s’écarter du crapaud et du masque de notre identité de substitution ?


Bien sûr, pour faire ce travail d’accueil de l’enfant en nous, il nous faut surmonter la croyance que si nous écoutons cette voix d’enfant, nous ne pourrons plus nous maîtriser comme adultes, qu’on va ouvrir la porte à des demandes impossibles à satisfaire, des émotions trop fortes, des colères enfouies qui ressortiront.

« Si au contraire, nous choisissons d’écouter la petite voix en nous qui a besoin d’être reconnue, et de l’utiliser pour grandir, notre adulte pourra se servir habilement de tout ce qu’il a appris pour venir à son secours. […] C’est en reconnectant nos pensées et nos émotions que nous allons permettre à notre enfant intérieur de se sentir accueilli et ce faisant, de nous sentir nous-mêmes dans un alignement fécond.[4] »


Le coach pourra favoriser cet accueil par sa bienveillance, son calme, sa patience, son empathie chaleureuse, son absence de jugement, pour permettre à son client, au moment où il en ressent la possibilité et le besoin, de laisser s’exprimer cet Enfant.

Permission de comprendre ses émotions

Plus d’une fois, j’ai été témoin, en tant que coach, du brusque surgissement de fortes émotions – des larmes le plus souvent – au moment où je ne m’y attendais pas. Et la personne, surprise elle-même, s’en excuse. Comment accueillir ce type d’événement, laisser toute leur place à ces motions, ces mouvements intérieurs, et aider la personne à interroger leur sens profond en elle ? On vient d’en voir le lien avec notre enfant intérieur et l’enjeu de la reconnexion avec lui pour la recherche d’une authenticité.


Les émotions sont en effet de précieux indicateurs pour comprendre ce qui se joue dans notre intériorité mais aussi notre environnement, savoir des décoder est une clé pour déjouer les jeux psychologiques en nous et autour de nous. Ainsi, Daniel Goleman a popularisé la notion d’intelligence émotionnelle, véritable capacité d’écoute de ses émotions, mais aussi capacité d’entendre ce qu’elles veulent dire, ce qui suppose de discerner entre émotions parasites (liées à notre crapaud, à nos compulsions) et émotions plus authentiques (motions suscitées en nous par le réel). Goleman propose quatre sphères à considérer pour cette intelligence émotionnelle[5] :

  • La conscience de soi, capacité à comprendre ses émotions, à repérer leur influence sur nos comportements ;

  • La gestion de soi, maitrise de ses émotions pour s’adapter aux situations ;

  • L’intelligence interpersonnelle, capacité à comprendre les émotions d’autrui ;

  • La gestion des relations, capacité à prendre en compte l’altérité pour établir des relations constructives.

Carl Rogers faisait de l’accès à ses propres sentiments une des principales conditions pour accéder à l’authenticité, c’est-à-dire pour être :

« une personne sincère et authentique qui s’assume telle qu’elle est et établit (…) une véritable relation sans chercher à se dissimuler derrière une façade. J’entends par là que les sentiments dont cette personne fait l’expérience lui sont accessibles et sont accessibles à sa conscience, qu’elle est capable de les vivre, de s’identifier à eux et, le cas échéant, de les communiquer.[6] »

Pour apprendre à entendre ces émotions, il peut être précieux de les décoder[7], soit par écrit dans un journal de bord par exemple, soit en en parlant à des amis ou un accompagnateur : l’idée est d’en prendre pleine conscience, pleine responsabilité, de réduire sa dépendance du passé, des croyances, des autres. Pour la prise de conscience, il s’agit d’observer ce qui se passe, comment, le ressenti précis, les évènements qui déclenchent l’émotion, afin de bien nommer les choses et d’atténuer l’intensité émotionnelle en les posant.

« Si des émotions négatives persistantes envoient chaque jour le sentiment d’un mal-être envahissant, c’est le signal que les décisions prises par le passé ne fonctionnent plus et qu’il est temps de commencer à en prendre de nouvelles, à les mettre en œuvre et à faire ainsi des expériences inédites qui vont générer de nouvelles émotions venant « corriger » celles qui étaient à l’œuvre.[8] »

Dans une démarche d’accompagnement, on peut ainsi questionner la possibilité d’essayer de nouvelles approches, sortant des habitudes, et de voir les nouvelles émotions qui sont déclenchées. Cela peut servir de guide pour une nouvelle trajectoire, dans la quête d’authenticité identitaire.

Permission d’accomplir ses désirs et ses besoins les plus authentiques, permission d’interroger ses valeurs et d’écouter ses intuitions

Une personne qui se lance dans une démarche de coaching vient avec une demande, qui exprime un désir important pour elle. Ce désir peut alors être précisé, clarifié, rendu cohérent par rapport à des valeurs que la personne pourra nommer et définir, comme importantes pour elle.

Le désir n’est-il pas un moteur essentiel de la vie, de la créativité ? C’est Rousseau qui s’écriait : « malheur à qui n’a plus rien à désirer ». La psychanalyste François Dolto va plus loin encore[9] : « Le seul ‘‘ péché’’, pour moi, est de ne pas se risquer pour vivre son désir. Les enfants n’ont-ils pas à dégager, à révéler, comme on le dit d’une photo, qui ils sont pour ajouter leur vérité unique à la lente maturation de l’univers ? »

Ne sommes-nous pas alors au cœur de la quête d’authenticité ? Le désir profond est une forte aspiration interne, appelée « physis » : « Une force en nous qui demande à s’exprimer, pour nous réaliser pleinement – une énergie de vie, liée à la fois à la santé et à ce qu’on appelle le « soi ». […] La permission d’être soi-même est en rapport avec une liberté d’expression de Physis.[10] »

Carl Rogers a forgé, pour décrire le moteur de cette aspiration essentielle et existentielle, le concept de « tendance actualisante[11] » : « On peut la définir comme une force interne, un flux subtil, une source de vie, une énergie essentielle à notre réalité matérielle. La tendance actualisante est inhérente à chaque être vivant et lui fournit la possibilité d’évoluer et de s’épanouir. C’est une force autonome qui nous propulse dans un mécanisme d’actualisation de nous-mêmes et d’adaptation permanente à notre environnement.[12] »

On peut alors voir comme une manifestation de cet élan vital, de ce désir de vie, les valeurs, les intuitions et les besoins. Il importe de s’autoriser à nommer les valeurs qui comptent vraiment pour soi, et aussi de les prioriser, pour prendre conscience de ce qui est le plus important, et de repérer à quel degré ces valeurs sont respectées dans une situation personnelle ou professionnelle. Rechercher l’authenticité, c’est bien souvent vu par les personnes comme aller vers davantage d’alignement avec ses valeurs, reconnues comme les plus essentielles. Cela suppose un travail d’élucidation sur les injonctions reçues, pour distinguer les valeurs qui sont vraiment les nôtres de celles résultant des injonctions qui nous ont conditionnés, mais aussi pour accepter celles que, bien que venant d’autrui par notre éducation par exemple, nous nous sommes appropriées, comme faisant partie de notre identité assumée et désirée. Rogers met en garde des risques de croire trop vite nôtres des valeurs « introinjectées, conceptuellement figées, rarement mises en doute et à l’épreuve. [...] En empruntant, pour les faire nôtres, les idées des autres, nous perdons à la fois contact avec les trésors de sagesse de notre organisme, et la confiance en nous-même.[13] » C’est pourquoi la personne en quête d’authenticité fait confiance à sa propre sagesse, en prenant en compte les avis extérieurs pour ce qu’ils sont, des témoignages auxquels elle souhaite, pour certains, accorder un crédit, parce qu’ils rejoignent son expérience et son vécu – et parce qu’elle a conscience que des relations profondes avec autrui font partie de la réalisation de soi. Elle sait donc interroger ses valeurs et discerner celles qu’elle veut conserver, celles qu’elle veut faire évoluer à un moment donné de sa quête d’authenticité. Tout échangeant avec autrui, elle sait s’écouter et corriger par sa boussole intérieure sa trajectoire si certains choix n’ont pas les effets positifs qu’elle attendait, pour avancer sur la route de la construction identitaire qui la pousse à devenir toujours davantage ce qu’elle est.

Si elle se permet de se faire confiance, « ses sentiments et intuitions se révèleront sans doute plus sages que son entendement et que sa personne tout entière se révèlera peut-être plus intelligente et plus avisée que son seul cerveau[14] ». Le dramaturge Henry Bernstein remarque que « l’intuition est l’intelligence qui a commis un excès de vitesse », manière astucieuse de souligner la transgression que commet l’intuition, par rapport aux injonctions de penser selon les normes ! Capacité spontanée à saisir sa synthèse de ses émotions, son vécu, son expérience, sa connaissance de soi et de ses besoins, l’intuition est une chance de s’échapper des carcans pour aller vers plus d’authenticité.

C’est aussi pourquoi les besoins, sources de désirs profonds comme d’intuitions, ont légitimité à prendre toute leur place comme énergie de vie authentique. Ils méritent d’être écoutés, identifiés, nommés. Ils sont à faire résonner en soi en lien avec les émotions, en vérité, en dehors des conditionnements. Marshall Rosenberg, élève de Carl Rogers et fondateur de la Communication Non Violente, fait du repérage des besoins une des étapes clés à prendre en compte chez soi et autrui pour aller vers plus d’authenticité intérieure et relationnelle. C’est nécessaire pour se libérer des conditionnements qui sont en discordance par rapport à la manière dont on souhaite vivre et mieux se relier avec soi-même et autrui pour pouvoir mieux donner à partir de ce qu’on éprouve authentiquement en son cœur.[15] Et le psychologue invite à relire chaque évènement douloureux ou conflictuel, pour voir quels besoins n’y ont pas été suffisamment nourris et envisager des actions à partir de là, pour le bénéfice de soi et d’autrui, dans un apaisement lié à un surcroit d’authenticité :

« Comment je me sens et j’ai besoin de quoi, et quand je prends conscience que j’ai besoin de …. Comment je me sens et j’ai besoin de quoi et ainsi de suite. Un va-et-vient entre le sentiment et le besoin avant la mise en place de toute action ou stratégie jusqu’à arriver au besoin le plus profond, celui qui nous fait vibrer.[16] »

Et la satisfaction des besoins, des valeurs et des désirs débouche sur des plaisirs, qu’il ne faut pas hésiter à s’autoriser aussi : les physioplaisirs qui concernent le corps, les socioplaisirs des relations, les phychoplaisirs des réflexions heureuses, les idéoplaisirs des développements spirituels.

L’accompagnateur peut trouver là matière à inviter la personne aidée à s’autoriser à nourrir ces éléments essentiels dans son identité, pour aller vers soi en dépassant ses conditionnements et ses injonctions intériorisées.

Permission d’assumer sa différence, dans une existence unifiée

« Si d’autres ne l’ont pas déjà fait, je ne peux pas me permettre de le faire moi-même, d’innover à ce point » : c’est ainsi qu’une jeune femme me confiait une de ses croyances qu’elle voulait dépasser et dont elle sentait combien cela l’entravait pour se lancer vers des désirs qu’elle percevait comme authentiques et importants pour elle.

Toutes les formes de conformismes[17], qui résultent des injonctions et d’autres conditionnements, nous poussent à oublier nos spécificités, ou à les refuser, au risque de passer à côté de sa « vocation » propre d’être unique au monde. Oser se faire confiance pour cela suppose un certain courage, une vraie force de caractère pour sortir de l’imitation des autres, ou des normes reconnues dans un groupe. Cela peut vouloir dire assumer une véritable « transgression » de la « loi », formalisée ou non, dite ou non dite, d’un groupe, d’une entreprise, d’une famille, d’un courant religieux ou philosophique. Ce n’est pas un but en soi, mais un moyen pour garder, retrouver ou développer, sa liberté et son authenticité personnelles.

« La transgression dont nous parlons ici prend tout son sens quand il s’agit de rester fidèle à ce oui à la totalité de son existence. Pouvoir rester – ou devenir – un être unifié, autant qu’il est possible. Transgresser la loi n’est jamais un but en soi. Mais c’est parfois un risque qui nous incombe pour signifier où se situe l’essentiel.[18] »


Il s’agit pour beaucoup de personnes d’unifier sa vie, de trouver une congruence, un meilleur alignement entre qui elles sont au travail et qui elles sont en privé par exemple. L’exigence de conformation à des normes, ou à un modèle, pousse un certain nombre d’individus à se couper en deux : ils vivent selon ce qu’on attend d’eux dans leur entreprise, en s’écartant de qui ils sont vraiment, que ce soit au niveau des relations humaines, de leur style de vie, ou même de leur éthique. C’est fréquemment le cas de dirigeants, qui rentrent complètement dans l’« attente d’un rôle », passant leur vie en représentation, parfois sans possibilité même de se ressourcer dans un jardin secret pendant des années, pris qu’ils sont dans leur rôle, même le week-end au golf, même en vacances. Mais cela arrive également à des employés qui se trouvent pris sous l’influence d’une culture d’entreprise qui ne leur correspond pas, de styles de leaderships qui entravent leur personnalité et les forçant à jouer le rôle perçu en divergence par rapport à eux-mêmes. Avoir d’autres activités, associatives, familiales, amicales, leur fournit parfois ce havre de paix qui leur permet de moins en souffrir. Mais leur existence se trouve tragiquement coupée en deux. Celui qui trouve les moyens d’harmoniser au mieux ses valeurs et aspirations existentielles, avec un sens professionnel « peut passer d’un moi dystonique et divisé à un moi unifié et syntonique. C’est-à-dire un moi où les énergies ne sont plus éparpillées et divisées mais convergent sans contradiction interne. [19] »


L’approche de coaching va favoriser la prise de conscience, en interrogeant la personne sur ses valeurs, ses besoins, ses croyances. Et cette prise de conscience peut être un point de départ, à creuser, pour trouver des options possibles qui permettront une meilleure congruence identitaire. Et pourra être rappelé, avec un sourire, le mot d’Oscar Wilde : « Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris ! ».

Des protections contre l’inauthentique

Voyons maintenant quelques pistes pour assurer des protections contre ce qui empêche l’authenticité identitaire, des choses présentes à l’intérieur de nous-mêmes mais aussi à l’extérieur dans une certaine mesure.

Se protéger contre ce qui n’a pas lieu d’être

Pour Ken Keyes[20], c’est moins la réalité qui crée notre mal-être que des projections mentales, qui notamment consistent à attendre notre paix intérieure de ce qui se passe l’extérieur. C’est pourquoi, il importe de nous libérer des messages intérieurs qui régissent trop nos vies, en en prenant conscience de nos dépendances diverses par rapport à des choses qui prennent une importance indue :

« Lâcher prise, c’est laisser derrière soi ce qui n’a plus lieu d’être. Être centré sur l’ici et maintenant, laisser advenir, renoncer à la tentation du contrôle, perdre de vue nos préoccupations habituelles, nos certitudes, changer notre façon de penser, d’appréhender le monde et les autres. Car on imagine trop souvent que tout le monde devrait avoir les mêmes sentiments, les mêmes pensées et les mêmes croyances que nous.[21] »


Seule la personne concernée peut certes décider de ne plus retenir tout cela qui l’entrave et décider de s’en protéger. Mais dans un travail d’accompagnement, un questionnement délicat peut favoriser une remise en cause progressive d’habitudes et la constitution de protections contre des tentations de contrôles dont conscience est prise qu’on gagnerait à les abandonner. L’ici et maintenant est le camp de base du travail de coaching, permettant d’avancer le plus libre possible avec le moins d’a priori possibles.

Se protéger contre son ressentiment et sa culpabilité

Un cadre d’entreprise me confiait un jour à quel point il en voulait à des collègues dont il estimait qu’ils s’étaient servis de lui et l’avaient trahi. Et ce sentiment l’empêchait de s’investir dans une nouvelle étape de sa carrière, tant il mobilisa longtemps son énergie. Il avait du ressentiment à leur égard, mais aussi envers lui-même, avec la culpabilité de s’être fait avoir, de ne pas avoir été à la hauteur de la situation.

Comment se protéger contre la rancune et le ressentiment[22] ? Ils nous emprisonnent dans le passé et nous consomment une grande énergie intérieure pour nous faire prouver que l’autre à tort, tout en rendant difficile de prendre un autre point de vue sur l’autre, qui permettait de renouveler la relation à lui. Le mieux, quand c’est possible, n’est-il pas de parvenir à « pardonner » aux autres et à soi ? Car cela nous permet de nous libérer de pesantes contrariétés.

Un moyen pour nous protéger de la culpabilité de soi et des autres, c’est accepter que ni nous ni les autres ne sommes parfaits et de refuser de rester dans la spéculation d’un passé dans lequel on ne cesse de reconstruire ce qui aurait pu ou dû être fait ou dit. La culpabilité, pour soi et pour les autres, n’est-elle pas en bonne partie une illusion de toute puissance, comme si soi et les autres avaient toute capacité d’être sans cesse tout ce qu’on pourrait imaginer de plus idéal ? Pour reprendre le triangle de Karpman, nous nous faisons parfois victime d’un soi-même qui se fait persécuteur en accusant de n’avoir pas été sauveteur…ou nous persécutons autrui à qui nous reprochons de ne l’avoir été.

Il s’agit de se protéger contre ses propres jugements trop rapides. Ce sont souvent ses propres culpabilités que l’on projette, c’est souvent ce qu’on se reproche, au fond, qu’on tend à reprocher à autrui. Comme le disait Rogers,

« Si l’on veut être authentique, honnête ou vrai, il faut d’abord l’être vis à vis de soi-même. Je ne peux pas être vrai à propos d’autrui dans la mesure où j’ignore ce qu’est sa réalité. Pour être vraiment honnête, je ne peux parler que de ce qui se passe en moi.[23]»

Se protéger contre le déni de ses faiblesses

Les injonctions des drivers « sois fort » et « sois parfait » sont si souvent ancrées en nous, qu’il nous est difficiles d’accepter imperfections et faiblesses. Pourtant, sortir de leur déni pour les accueillir peut être un pas vers davantage de vérité intérieure, d’authenticité. Par ailleurs, en prendre conscience permet évidemment de les prendre en compte pour éviter certaines situations et faire des choix plus réalistes.

« Un moi fort, cela ne s’apprend pas. Cela se construit dans une alliance avec ses imperfections. Voilà pourquoi la crise est d’autant plus cruelle pour tous ceux qui se sont suradaptés, voulant montrer à quel point ils sont performants. Il est temps de lâcher cette pression extérieure qu’on a intériorisée. Il est essentiel pour créer un vivre ensemble de dépasser le jeu du fort et du faible, du succès et du prestige, pour se rencontrer sur un même terrain : celui où chacun à sa manière souffre d’être fragile et mortel mais accepte avec les autres un destin commun.[24] »

La vulnérabilité de soi, acceptée dans une alliance bienveillante et apaisée avec soi-même, ne peut-elle pas être un levier pour sortir de l’inauthenticité du masque, décrit par Moiso, que nous nous sommes construits ?

Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans ses faiblesses, ni de s’y acharner. Il convient aussi de se protéger aussi contre un impact trop important de nos faiblesses. Comme l’écrit la championne de natation synchronisée Muriel Hermine,

« il est préférable de concentrer ses efforts à développer ses talents pour en faire des forces, plutôt que de s’acharner à corriger ses faiblesses.[25] »

Se protéger en posant des limites et en disant non

S’adressant à son enfant intérieur, Lytta Basset a décidé un jour de le protéger de l’attitude perverse de certains individus qui abusaient de leur pouvoir :

« Je me souviens comme si c’était hier du jour où, de retour de mon lieu de travail, j’ai fait cette promesse – dans la voiture et à haute voix – à la petite fille qui m’habite encore, une promesse qui me différenciait à tout jamais de la perversité subie jadis et renouvelée dans le présent : « Plus jamais je ne laisserai personne te traiter ainsi ! » Il y eut véritablement un avant et un après.[26] »

Des attitudes perverses et toxiques, des individus cherchant à nous prendre sous leur emprise, il s’en trouve dans tous les milieux, professionnels, familiaux, associatifs, sociaux… Qu’on l’appelle harcèlement, jalousie, prise de bouc émissaire…Ceci peut nous atteindre en profondeur, nous faire douter de nous-même, face à de vraies marées de mensonges et des manipulations de toutes sortes. Il s’agit de se protéger en se différentiant de ce milieu ambiant, de se mettre à part pour effectuer un travail de vérité en nous, « pour que nous puissions enfin vivre notre propre vie, accomplir sur cette terre ce pour quoi nous y sommes venus[27] ».

Après une prise de conscience lucide et approfondie, il peut y avoir des relations de travail (ou personnelles) à quitter, si l’on veut se défaire d’une emprise qui nous entrave et nous empêche vraiment d’être nous-mêmes. Dire non à certaines situations de travail est parfois salutaire, pour éviter une crise ou un burn-out. Dire non, tout simplement à un défi professionnel ou personnel qui nous met trop en danger, est absolument indispensable.

Un coach se doit à veiller à la sécurité ontologique de la personne qu’il accompagne et même pour la meilleure intention possible – faire prendre conscience, aider à sortir de croyances entravantes – il doit s’assurer que cette dernière vit bien la démarche, sans quoi il convient de l’en protéger en n’allant pas plus loin.

La puissance de vivre une identité authentique

Après avoir considéré ce qu’offraient permissions et protections, il s’agit maintenant d’envisager comment la personne en quête d’authenticité identitaire peut déployer tout son potentiel pour la trouver et la vivre, en osant s’y engager avec puissance, en faisant toute confiance dans sa « tendance actualisante[28] ».

Oser avoir foi en un sens pour sa vie

Autant chercher les causes de nos problèmes peut nous laisser prisonniers d’un passé, autant accueillir un sens dans l’ici et maintenant nous ouvre à un avenir riche d’espérance. Ce sens, nous pouvons le découvrir en nous mettant à l’écoute des événements, de symptômes ressentis, des autres, mais il est également à construire,

« au gré de nos actions et de nos pensées qui font le lien entre nos aspirations et les contraintes d’une situation.[…] Mener une existence qui a du sens, c’est exister en nous reliant à tout ce qui peut nous éclairer, nous réchauffer, nous nourrir. C’est aussi partager avec d’autres ce que nous vivons. C’est se relier à notre raison de vivre, motivation fondamentale chez nous tous. [29] ».

Ce sens n’est pas à subir comme un destin tragique, mais il est à tisser dans l’ici et maintenant des contingences, desquelles nous avons à la fois à écouter le sens et donner du sens, le tout dans une approche la plus sincère possible si on cherche l’authenticité. Cela rejoint la notion d’identité narrative de Paul Ricoeur :

« La personne, comprise comme personnage de récit, n’est pas une entité distincte de ses « expériences ». Bien au contraire : elle partage le régime de l’identité dynamique propre à l’histoire racontée. Le récit construit l’identité du personnage, qu’on peut appeler son identité narrative, en construisant celle de l’histoire racontée. C’est l’identité de l’histoire qui fait l’identité du personnage.[30] »

D’où l’importance, lors de l’accompagnement de la personne en quête d’authenticité identitaire, de lui offrir des espaces pour se raconter : raconter son présent, sa situation, raconter les événements marquants dont elle a conscience qu’ils l’ont marquée. Mais il s’agit aussi d’oser se raconter son avenir, en laissant libre cours à son imagination pour construire un récit dans lequel son identité vécue comme la plus authentique possible trouvera sa place, se fera une place et cette place pourra être ancrée dans la mémoire de la personne qui exprime ce récit imaginé et espéré et cet ancrage pourra lui donner de la force et du courage pour mettre en œuvre les prochaines étapes de ce récit de son identité narrative.

Oser la gratitude

Un type de méconnaissances très pénalisant est l’absence de prise de conscience de ce qui est positif dans sa vie : soit qu’on ne le voie pas, absorbé qu’on est dans les problèmes qui absorbent toute l’énergie, soit qu’on passe trop vite à autre chose, en considérant le positif comme quantité négligeable dont il n’est pas besoin de s’occuper. Mais on se prive alors de précieuses possibilité d’ancrage dans des bons moments, dans une réalité par endroits plus favorable qu’on ne le craignait, dans des rencontres qui nous ont nourris au-delà de nos espérances…

C’est pourquoi la gratitude, à la fois prise de conscience de ce qui a été positif et remerciement intérieur pour cela, est un exercice utile à oser, de manière délibérée, si l’on ne veut pas ce faire voler ces cadeaux de la vie.

François Cassinguena-Trévidy voit dans la gratitude l’opportunité d’augmenter le bien-être, le bonheur :

« Ce n'est point la gratitude qui est proportionnelle au bonheur reçu, mais, à l'inverse, le bonheur - tout le bonheur possible - qui est proportionnel à la gratitude. Car là où il y a plus de gratitude, là où est plus ouvert et plus vaste le récipient de la gratitude, [...] il y a plus de bonheur possible - tout le bonheur possible. La gratitude ne remercie pas seulement le bonheur : elle le décuple ; elle ne le décuple pas seulement : en se contentant de la lumière, du verre d'eau fraîche et de l’air que l'on respire, la gratitude est source de la frugalité.[31] »

On sent dans ce propos combien la gratitude peut aussi protéger contre une fuite en avant, vers la recherche de toujours plus, qui éloigne bien souvent davantage la personne de son authenticité qu’elle ne l’en rapproche. La psychologie positive invite à se center sur ses points forts, ses atouts, pour les développer et y fonder la construction de son avenir.

Le repérage des bons moments, des points positifs est utile à favoriser par des questionnements, pour un coach. L’enjeu est la prise de conscience au-delà des méconnaissances, l’ancrage dans des situations vécues positivement qui pourront se reproduire, le renforcement de l’estime de soi.

Oser la confiance dans l’altérité

Pour éviter de prendre le risque d’être déçu par l’autre, on est souvent tenté par une défiance de principe, qui nous met à l’abri, pensons-nous, de nous faire avoir. Mais un tel procès à charge par défaut, même s’il est implicite, ne nous coupe-t-il pas artificiellement des autres et de l’authenticité que peut révéler en nous la rencontre de l’altérité ?

On peut argumenter en faveur de la confiance au nom d’enjeux d’efficacité, comme le fait Stephen Covey[32] qui souligne qu’en voulant se protéger du risque qu’entrainerait la confiance, on encourt souvent des risques bien plus grands encore, du fait des attitudes que nous inspire la défiance. Et ce promoteur du concept de la « vitesse de la confiance » invite à développer, en soi et chez les autres, les conditions d’une confiance fondée sur quatre « noyaux de crédibilité » :

  • L’intégrité, cohérence intérieure qui suppose l’honnêteté mais va au-delà, incluant l’accord entre les paroles et les actes, l’authenticité intérieure vue en cohérence avec les comportements extérieurs ;

  • L’intention, c’est-à-dire nos motifs d’actions et nos objectifs, puisque la confiance grandit quand nos motivations sont claires et sans arrière-pensées, fondées sur l’intérêt mutuel ;

  • Les capacités, qui sont permettre d’atteindre les résultats que nous visons (un médecin peut être intègre et plein de bonnes intentions, mais on peut lui faire confiance s’il n’est pas correctement formé) ;

  • Les résultats que nous avons obtenus, face à ce que nous avons promis.

On voit que ces quatre noyaux, conditionnant la confiance, sont à la fois des attitudes, d’ordre notamment éthique, mais aussi des compétences par rapport auxquelles l’attente de crédibilité est légitime. Ces conditions sont certes à développer, pour soi afin de mériter la confiance et aussi à évaluer lucidement chez les autres pour pouvoir leur donner plus largement cette confiance.

Mais dans la quête d’authenticité identitaire, l’enjeu n’est-il pas d’aller au-delà de la seule recherche d’efficacité et se demander si la confiance en l’autre n’est pas une condition de l’authenticité intérieure ? On peut ainsi suivre Matthieu Ricard, qui note que :

« Notre opinion sur l’existence de l’altruisme véritable n’est donc pas seulement une question théorique puisqu’elle peut considérablement influencer notre manière de penser et d’agir. Comme le disait Martin Luther King : « C’est à chaque homme de décider s’il marchera dans la lumière de l’altruisme créatif ou dans les ténèbres de l’égoïsme destructeur. » La bienveillance est-elle plus naturelle que la haine ? Le Dalaï-lama dit souvent que l’amour est plus naturel que la haine, l’altruisme plus naturel que l’égoïsme, car de la naissance à la mort nous avons tous besoin, pour survivre, de donner et de recevoir de l’amour pour accomplir à la fois notre propre bien et celui d’autrui. En général, ajoute-t-il, nous nous sentons « bien » lorsque nous manifestons de la bonté à autrui, et « mal » lorsque nous nuisons à autrui.[33] »


Fondée sur une telle confiance dans la bienveillance fondamentale de soi et d’autrui, la démarche de Communication Non Violente de Marshall Rosenberg[34] invite à se mettre à la place de l’autre, à susciter l’expression sincère, ensemble, de faits tels que chacun les a perçus, des ressentis respectifs, des besoins de l’un et de l’autre tels qu’ils ont été malmenés ou nourris et ce que chacun souhaite obtenir. Il s’agit de lâcher prise par rapport aux jugements, à la volonté d’avoir raison contre l’autre, à ce qu’il peut y avoir d’envie et de jalousie aussi, pour simplement se retrouver en êtres humains pareillement légitimes d’avoir des sentiments, des besoins et des désirs, à rendre compatibles ensemble.

Et, comme le dit Sophie Peters, il s’agit non seulement de s’accorder ensemble, mais de progresser vers plus de vérité intérieure :

« L’altérité est la condition de notre changement et de notre évolution. En se projetant dans le monde, en s’ouvrant aux autres afin de se réaliser, notre Moi a besoin des autres pour évoluer, changer et s’accomplir. Nous nous définissons toujours dans un dialogue, parfois par opposition, parfois par identité, avec les autres qui comptent.[35] »


Le but de cela n’est pas, bien sûr, de dépendre du regard des autres pour tomber dans un conformisme ou un jeu psychologique, mais de se laisser provoquer avec confiance, pour sortir de nous-mêmes, pour faire advenir le meilleur de nous-mêmes que nous ne soupçonnons peut-être pas et que, seuls, nous ne pourrions faire naitre.


Pour l’accompagnateur d’une personne en quête d’authenticité identitaire, l’enjeu est de taille pour la relation collaborative : ne doit-il pas se demander s’il fait suffisamment confiance dans les capacités de cette personne à se réaliser, ou bien s’il subit l’influence des « maitres du soupçon » tels que Freud qui ont entrainé des générations de thérapeutes dans un grand pessimisme sur les capacités et même sur les motivations humaines ?

Oser l’intelligence et la créativité

Oser penser par soi-même et créer du nouveau sans se référer trop exclusivement à des modèles, cela ne va pas de soi dans un monde qui appelle souvent, implicitement, à un certain conformisme. Cela commence par oser remarquer les choses qui semblent bizarres[36], de s’interroger sur leur signification. Ne pas avoir le réflexe de s’interroger peut relever de la méconnaissance et cette méconnaissance peut être liée à des sujets tabous dans une entreprise, une communauté sociale, une famille. Ces milieux cachent parfois des secrets (injustices commises, alcoolisme, inceste…) et, de ce fait, laissent entendre qu’on est censé fermer les yeux sans comprendre ce qui se passe. Pas simple pour l’authenticité de se frayer un chemin en pareilles circonstances… Mais c’est pour certains tout simplement l’habitude de dire : « Ah, ben, je n’y avais pas pensé ! ». Ils disent ne pas aimer « se prendre la tête » mais c’est parfois un manque de permission de penser, qui les conduit à se lancer dans une improvisation permanente.

Oser se donner les moyens de se cultiver, de donner libre cours à sa curiosité intellectuelle, se former, n’est-ce pas une porte ouverte vers la liberté de choix entre plusieurs vues, vers la liberté d’approfondir ce qu’on découvre comme important pour soi ? N’est-ce pas aussi une manière d’avancer, de progresser vers une maturation ? En effet,

« ce qui mobilise notre intelligence et notre créativité, c’est notre capacité à nous adapter et à construire. Être à sa place, en ce sens, c’est avoir le sentiment que chaque jour nous a appris et nous a nourris. C’est s’enrichir du temps passé et s’avancer tranquillement vers le mystère de notre futur.[37] »

Ainsi, l’accompagnateur peut jouer un rôle de renforcement pour encourager les chercheurs de sens authentique, encore timides ou velléitaires pour aller au bout de leurs curiosités, afin de se faire confiance pour aller vers ces dimensions d’approfondissements d’une authenticité intérieure et pour questionner des options possibles, inexplorées, en ces matières.

Oser la responsabilité et l’action

Bien entendu, il peut y avoir des excès dans l’accumulation de connaissances et dans l’analyse approfondie des situations : l’un d’entre eux consiste à ne jamais se décider pour l’action, tant qu’on n’a pas atteint des certitudes absolues. Quel meilleur alibi pour celui qui hésite à prendre des responsabilités que de se dire : « dans le doute, abstiens-toi ! ».

Or, il faut bien l’accepter, les certitudes sont rares en ce bas monde… Mais heureusement, décider dans l’incertitude n’enlève rien à la noblesse, au courage et finalement à l’authenticité sincère de nos prises de responsabilité. « C’est dans l’indéterminé que je me trouve », selon Jean-Bertrand Pontalis[38].

Car c’est bien dans l’action engagée en prenant ses responsabilités, que la personne va se risquer à une expression d’elle-même qui la fera exister profondément. Comme l’écrit Maurice Blondel,

« L’action est la multiplication du verbe intérieur qui, revêtu d’un corps pour s’offrir à toutes les sensibilités, se propose en communion à l’univers, et y repend à l’infini sa semence féconde : c’est l’organe de reproduction spirituelle.[39] »

L’action, bien sûr, ne gagne rien à devenir un activisme, une action pour l’action, mais permet à la personne de s’engager de manière discernée, réfléchie le plus sincèrement possible dans la quête d’authenticité.

L’accompagnateur de la personne qui a travaillé avec elle, dans sa quête d’authenticité, aura à un moment à encourager son autonomie par l’engagement dans la responsabilité de l’action. Des expérimentations sur des actions intermédiaires, pourront confirmer et renforcer le chemin choisi, mais le moment de se risquer dans l’inconnu, de se lancer dans le pari sur ce qu’est pour soi l’authenticité dans le concret de l’action, viendra un jour, même si l’action consistait à décider de demeurer dans sa situation, en cohérence avec la quête d’authenticité identitaire.

[1] Cité par Hawkes & Brécard (2015), p.281. [2] Peters (2018), p.74. [3] Ibid., p.77. [4] Ibid., p.81. [5] Goleman (2014[1995]), cité par Peters (2018), p.81. [6] Rogers (1983), p.106. [7] Peters (2018), p.82. [8] Ibid., p.85. [9] Dolto, F. & Séverin, S. (1978). [10] Hawkes & Brécard (2015), p.401. [11] Voir ci-dessus 2.7 pp.42 et suivantes. [12] Odier (2012) p.43, commentant l’Approche Centrée sur la Personne de Rogers [13] Rogers (2013 [1989]) p.212. [14] Ibid. [15] Rosenberg (1999) [16] Belfali (2016)

[17] Peters (2018), p.125. [18] Margron (2021), présidente de l’association des religieux et religieuses catholiques de France [19] Lenhnardt (2018[1992]) [20] Cité par Peters (2018), p.87. [21] Peters (2018), p.87. [22] Ibid., p.89. [23] Rogers (1983), p.113, cité par Zimring (1994). [24] Peters (2018), p.45. [25] Hermine (2013), e. 2228. [26] Basset (2019), p.42. [27] Ibid., p.128 & 129. [28] Voir ci-dessus paragraphe 2.6 page 41. [29] Peters (2018), p.122. [30] Ricoeur (1990), e. 3673. [31] Cassingena-Trévedy (2007) [32] Covey & Merrill (2019) [33] Ricard (2013), e.3521-3531 [34] Rosenberg (1999) [35] Peters (2018), p.99. [36] Hawkes & Brécard (2015), p.286. [37] Peters (2018), p. 64. [38] Cité par Peters (2018), p.64. [39] Blondel (1937)